« Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues », déclarait le Président de la République cet été.
Nous ne pouvons que nous réjouir d’une telle ambition politique que nous appelons de nos vœux depuis de nombreuses années. Cependant, force est de constater que l’objectif est bien loin d’être atteint quoique puisse en dire le secrétaire d’Etat Julien Denormandie qui déclarait le 30 janvier, sur les ondes de France Inter qu’il n’y a que 50 hommes isolés en demande d’hébergement en Ile de France. De telles insinuations sont inacceptables car totalement déconnectées des réalités sociales vécues par les personnes et les professionnels qui les accompagnent.
A travers ces déclarations et les instructions données par les services de l’Etat aux acteurs de terrain, se met en place une stratégie de dissimulation des sans-abri visant à laisser croire que l’objectif présidentiel est en passe d’être atteint et que les personnes à la rue le serait par choix.
Le développement d’une société se mesure à la manière dont elle conçoit et traite ses marges.
Rappelons que la naissance du Samu social et le développement de la veille sociale et de l’hébergement au début des années 90 reposait sur le constat suivant : il existe des hommes et des femmes auprès desquels il convient de se rendre, justement parce qu’ils ont renoncé à faire appel aux services sociaux et médicaux. Il relève donc à des professionnels de tenter d’entendre une souffrance qui peine à s’exprimer.
Parallèlement, le 115 était mis en place, plateforme téléphonique permettant à toute personne en détresse de solliciter une place en hébergement d’urgence.
Durant 24 ans, les 115 de France ont recensé les demandes et attribué les places aux personnes en attente d’un hébergement en mesurant les tensions entre les demandes et les places disponibles à l’aune du chiffre des « demandes non pourvues » au 115. Les associations n’ont cessé d’observer l’écart, parfois abyssal, entre l’offre d’hébergement et les besoins ainsi que les difficultés des personnes à sortir de l’urgence vers le logement et l’autonomie. Chaque jour des dizaines de milliers d’hommes et femmes en situation de grande pauvreté ont composé le 115, attendu, parfois des heures, pour savoir si elles dormiraient au chaud le soir même.
Aujourd’hui, les chiffres des demandes non pourvues communiqués par le 115 sont remis en question par les préfectures, ces dernières cherchant à distinguer les personnes réellement à la rue de celles qui ne le seraient pas. Cette suspicion est inacceptable. La pression exercée sur les Samu Sociaux et les maraudes, tantôt pour établir le nombre et parfois la liste des personnes « réellement » à la rue, tantôt pour certifier la situation « de rue avérée » des personnes en allant contrôler la réalité de leur situation après leur appel au 115. Cette stratégie est indigne de la souffrance dont les équipes de maraudes sont chaque jour témoins et elle entrave toute dynamique de résolution du problème en le dissimulant. Mécaniquement, les chiffres des personnes en demande d’hébergement non pourvues diminuent, autorisant le secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la cohésion des territoires à afficher l’illusion d’un problème en cours de résolution, dans la lignée des annonces du Président de la République cet été.
L’urgence sociale est le réceptacle de tous les dysfonctionnements, paradoxes ou manque de moyens d’autres politiques publiques. Aujourd’hui, le secteur connait une crise sans précédent. Il importe de le refonder, à travers un plan de résorption des personnes à la rue combinant logements très sociaux et hébergements durables, plutôt que de redécouvrir le sans-abrisme chaque hiver et à créer en urgence des places temporaires. Cette logique urgentiste pose un voile sur les causes structurelles du sans-abrisme et s’en extraire suppose en premier lieu d’appréhender la réalité avec pragmatisme et sincérité.
La Fédération des Samu Sociaux refuse que les équipes de maraudes soient écartées de leurs missions premières et instrumentalisées à des fins politiques. La Fédération demande qu’il soit mis fin immédiatement au climat de suspicion existant autour des appels au 115 et qu’un appel soit à nouveau reconnu comme la demande d’une personne en détresse, convoquant à la mobilisation d’une réponse. Enfin, la Fédération des Samu Sociaux en appelle à un engagement des territoires pour la mise en place d’une approche pragmatique de mesure et de qualification de la question du sans-abrisme (dénombrement et identification des demandes et des besoins) afin d’y apporter des réponses adaptées. La nuit de la solidarité à Paris est un premier pas positif en ce sens. Le dispositif d’urgence sociale souffre de n’être jamais parvenu à regarder et circonscrire le problème qu’il a pourtant la charge de gérer. La solution tient aujourd’hui à la sortie du paradigme de « gestion » pour construire celui de la « résolution » de la question. « Zéro SDF » c’est possible !
Jérôme COLRAT
Président de la Fédération
Nationale des Samu Sociaux
2952 sans-abri ont été comptés à Paris lors du recensement mené la nuit du 21 février par près 2000 personnes. S’ajoutent les personnes hébergées de façon très provisoire pendant le plan froid dans des gymnases et autres salles de la capitale ce qui porte le total à 3624 sans-abri. Le Président du Samu social parisien arrive à 5000 si l’on rajoute les personnes qui n’ont pas été trouvées.
A Lyon, une proposition similaire de comptage à la Préfecture est à ce jour sans réponse.
Dans le Rhône, 8000 personnes s’inscrivent chaque année à la Maison de la Veille Sociale pour une demande et sont en attente d’une place d’hébergement.
Parallèlement, environ 1600 personnes appellent le 115 chaque jour pour une mise à l’abri immédiate et restent sans solution.