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Refusons de dissimuler la réalité des sans-domicile fixe en France

26/02/2018

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« Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues », déclarait le Président de la République cet été.

Nous ne pouvons que nous réjouir d’une telle ambition politique que nous appelons de nos vœux depuis de nombreuses années. Cependant, force est de constater que l’objectif est bien loin d’être atteint quoique puisse en dire le secrétaire d’Etat Julien Denormandie qui déclarait le 30 janvier, sur les ondes de France Inter qu’il n’y a que 50 hommes isolés en demande d’hébergement en Ile de France. De telles insinuations sont inacceptables car totalement déconnectées des réalités sociales vécues par les personnes et les professionnels qui les accompagnent.

A travers ces déclarations et les instructions données par les services de l’Etat aux acteurs de terrain, se met en place une stratégie de dissimulation des sans-abri visant à laisser croire que l’objectif présidentiel est en passe d’être atteint et que les personnes à la rue le serait par choix.

Le développement d’une société se mesure à la manière dont elle conçoit et traite ses marges.

Rappelons que la naissance du Samu social et le développement de la veille sociale et de l’hébergement au début des années 90 reposait sur le constat suivant : il existe des hommes et des femmes auprès desquels il convient de se rendre, justement parce qu’ils ont renoncé à faire appel aux services sociaux et médicaux. Il relève donc à des professionnels de tenter d’entendre une souffrance qui peine à s’exprimer.

Parallèlement, le 115 était mis en place, plateforme téléphonique permettant à toute personne en détresse de solliciter une place en hébergement d’urgence.

Durant 24 ans, les 115 de France ont recensé les demandes et attribué les places aux personnes en attente d’un hébergement en mesurant les tensions entre les demandes et les places disponibles à l’aune du chiffre des « demandes non pourvues » au 115. Les associations n’ont cessé d’observer l’écart, parfois abyssal, entre l’offre d’hébergement et les besoins ainsi que les difficultés des personnes à sortir de l’urgence vers le logement et l’autonomie. Chaque jour des dizaines de milliers d’hommes et femmes en situation de grande pauvreté ont composé le 115, attendu, parfois des heures, pour savoir si elles dormiraient au chaud le soir même.

Aujourd’hui, les chiffres des demandes non pourvues communiqués par le 115 sont remis en question par les préfectures, ces dernières cherchant à distinguer les personnes réellement à la rue de celles qui ne le seraient pas. Cette suspicion est inacceptable. La pression exercée sur les Samu Sociaux et les maraudes, tantôt pour établir le nombre et parfois la liste des personnes « réellement » à la rue, tantôt pour certifier la situation « de rue avérée » des personnes en allant contrôler la réalité de leur situation après leur appel au 115. Cette stratégie est indigne de la souffrance dont les équipes de maraudes sont chaque jour témoins et elle entrave toute dynamique de résolution du problème en le dissimulant. Mécaniquement, les chiffres des personnes en demande d’hébergement non pourvues diminuent, autorisant le secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la cohésion des territoires à afficher l’illusion d’un problème en cours de résolution, dans la lignée des annonces du Président de la République cet été.

L’urgence sociale est le réceptacle de tous les dysfonctionnements, paradoxes ou manque de moyens d’autres politiques publiques. Aujourd’hui, le secteur connait une crise sans précédent. Il importe de le refonder, à travers un plan de résorption des personnes à la rue combinant logements très sociaux et hébergements durables, plutôt que de redécouvrir le sans-abrisme chaque hiver et à créer en urgence des places temporaires. Cette logique urgentiste pose un voile sur les causes structurelles du sans-abrisme et s’en extraire suppose en premier lieu d’appréhender la réalité avec pragmatisme et sincérité.

La Fédération des Samu Sociaux refuse que les équipes de maraudes soient écartées de leurs missions premières et instrumentalisées à des fins politiques. La Fédération demande qu’il soit mis fin immédiatement au climat de suspicion existant autour des appels au 115 et qu’un appel soit à nouveau reconnu comme la demande d’une personne en détresse, convoquant à la mobilisation d’une réponse. Enfin, la Fédération des Samu Sociaux en appelle à un engagement des territoires pour la mise en place d’une approche pragmatique de mesure et de qualification de la question du sans-abrisme (dénombrement et identification des demandes et des besoins) afin d’y apporter des réponses adaptées.  La nuit de la solidarité à Paris est un premier pas positif en ce sens. Le dispositif d’urgence sociale souffre de n’être jamais parvenu à regarder et circonscrire le problème qu’il a pourtant la charge de gérer. La solution tient aujourd’hui à la sortie du paradigme de « gestion » pour construire celui de la « résolution » de la question. « Zéro SDF » c’est possible !

Jérôme COLRAT

Président de la Fédération
Nationale des Samu Sociaux

2952 sans-abri ont été comptés  à Paris lors du recensement mené la nuit du 21 février par près 2000 personnes. S’ajoutent les personnes hébergées de façon très provisoire pendant le plan froid dans des gymnases et autres salles de la capitale ce qui porte le total à 3624 sans-abri. Le Président du Samu social parisien arrive à 5000 si l’on rajoute les personnes qui n’ont pas été trouvées.

A Lyon, une proposition similaire de comptage à la Préfecture est à ce jour sans réponse.

Dans le Rhône, 8000 personnes s’inscrivent chaque année à la Maison de la Veille Sociale pour une demande et sont en attente d’une place d’hébergement.
Parallèlement, environ 1600 personnes appellent le 115 chaque  jour pour une mise à l’abri immédiate et restent sans solution.

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Madame C. et Monsieur V.

Un couple marqué par le sans-abrisme

Originaires de Picardie, ils quittent avec leurs 3 enfants leur maison d’Airaines en 2008 pour tenter leur chance en Corse puis à Lyon. Sans emploi, ils font face à des difficultés familiales avant de se trouver sans hébergement.

Souhaitant avant tout protéger leurs enfants et assurer leur scolarité, ils s’adressent au Conseil Général pour un placement provisoire. Ils sont orientés dans différents foyers dont le CHRS Carteret d’ALYNEA, mais la collectivité leur est difficile. Ils ne supportent ni la promiscuité, ni le cadre imposé. La collaboration avec les équipes est alors compliquée.
Pendant presque 3 ans, ils vont vivre dans la rue, abrités sous la bibliothèque universitaire rue Chevreul. La nuit, ils dorment en alternance afin que l’un des deux surveille leurs sacs à dos dans lesquels se trouve toute leur vie. En journée, ils fréquentent la Maison Rodolphe du Foyer Notre Dame des Sans Abri où ils déjeunent, se douchent, font leur lessive. Ici, ils sont suivis par Marc (prénom d’emprunt) assistant social avec qui ils seront en confiance.

« C’est la première personne qui nous a compris en repérant que le type d’hébergement qui nous conviendrait serait un appartement individuel. »

Dans la rue, leur santé se dégrade. Suzanne est hospitalisée plusieurs fois, sous-alimentée, alcoolisée, les articulations douloureuses. Les acteurs sociaux se mobilisent pour trouver une solution : Marc, la Maison de la Veille Sociale, le Samu Social 69, s’adressent au Préfet pour qu’un hébergement d’urgence soit débloqué. 5 mois plus tard, ils sont hébergés à l’hôtel.
Le couple poursuit son chemin dans un dispositif d’hébergement en appartement avec l’équipe de Polygônes d’ALYNEA qui considère que l’habitat est le point de départ de l’accompagnement.
Suzanne a arrêté de boire et soigne sa polyarthrite. Son compagnon, épileptique, suit son traitement. Grâce à des visites accompagnées par un médiateur et des entretiens téléphoniques réguliers, ils sont en lien avec leurs enfants.
Le prochain objectif est l’accès à un logement de droit commun : le bail serait d’abord signé entre le propriétaire et ALYNEA ; pendant cette durée déterminée, ils seraient sous-locataires et toujours accompagnés par Polygônes, avant que le bail « glisse » à leurs noms.

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Monsieur B.

« Rescapé de la solitude »

Monsieur B. intègre son hébergement en appartement de coordination thérapeutique en octobre 2017. Il doit alors quitter l’hébergement mis à disposition par le centre Léon Bérard où il suit un traitement médical. Même si Monsieur B. a fui, pour des raisons politiques le Congo Kinshasa, il est débouté par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) et par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Arrivé en France blessé, il apprend qu’il est gravement malade. Soutenu par l’assistante sociale de l’hôpital, il obtient un titre de séjour pour soins qui lui permet de se faire soigner et rester sur le territoire le temps nécessaire.

« Nous les Africains, on vit ensemble, on ne connait pas la solitude. Ici j’ai beaucoup souffert de l’isolement, j’étais au fond du trou. Isolé, malade, séparé de ma famille, j’avais les pires idées. »

Depuis le début de son accompagnement par Entr’Aids, il a trouvé ce dont il avait besoin, une équipe professionnelle qui se soucie des êtres humains et qui soutient moralement les personnes. Son cadre de vie lui permet également de retrouver un vivre ensemble : des relations conviviales de voisinage, le partage de petits déjeuners et de repas avec l’équipe…

« L’hôpital m’a soigné, ALYNEA m’a sauvé la vie, je suis un rescapé. »

Lors de cette rencontre, Monsieur B. est en rémission et a retrouvé du sens dans son quotidien en tant qu’agent de sécurité aux abords de l’école, et bénévole au sein de l’association Singa (mouvement citoyen international visant à créer du lien entre personnes réfugiées). Il a pu reprendre ses fréquentations à la bibliothèque, et récupérer l’appétit et le goût de vivre.

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Monsieur BEN ATTIA

Sa création d’entreprise lui ouvre l’accès au logement

Qu’avez-vous pensé de la 1ère rencontre avec l’équipe du CoWork ?

Une opportunité à ne pas rater ! Je m’y suis tout de suite accroché. Je n’avais pas beaucoup de solutions et l’accompagnement proposé était pour moi un plus, surtout pour le volet administratif. J’ai senti que ça n’allait pas être une perte de temps.

Quel est votre quotidien depuis le début de votre activité ?

Je travaille 35h par semaine : du mercredi au samedi, dans le camion de livraison et le lundi je gère l’administratif (en tant qu’auto-entrepreneur je m’occupe de la facturation, de la communication, de la commercialisation). Le dimanche, je suis avec ma famille. J’ai embauché un livreur en CDD de 6 mois à mi-temps. Un comptable gère la paie, en prestation externe. Aujourd’hui, mon objectif est d’investir dans l’achat d’un camion. Pour l’instant, on tourne en location, et ça représente une perte d’argent conséquente, surtout lorsqu’on doit en louer deux (environ 2 jours par semaine).


Mon entreprise marche bien, c’est ce que je souhaitais ! Je rembourse mes mensualités pour le crédit que l’ADIE m’a accordé pour lancer mon activité. Je me dégage un bon salaire pour payer mon loyer et nourrir ma famille. Je suis très content ! J’ai trouvé un appartement F4 à Lyon 8, dans du neuf. Être patron avec des bons chiffres, ça change tout quand tu cherches un appartement !

La fréquence de votre accompagnement a dû évoluer depuis le mois d’août, notamment depuis le début de votre activité ?

Mon contrat d’accompagnement (de 3 mois) a été renouvelé plusieurs fois. Je viens encore une fois par semaine les lundis, jour que je consacre à l’administration de ma société. Parallèlement je reste en contact téléphonique régulier. Au moindre doute, j’appelle. Sarah est comme une conseillère, dès que j’ai une question, je prends mon téléphone, « Allo Sarah ? » Elle se renseigne puis m’oriente pour que je puisse reprendre la main. Au minimum, je suis en contact deux fois par semaine avec elle. C’est vraiment un apport précieux car sans le CoWork, j’aurais des papiers non-traités. À chaque étape, le dispositif s’adapte par rapport à mes besoins.

Comment peut-on améliorer le service ?

On a fait une réunion avec les autres coworkers et l’équipe pour identifier les besoins et optimiser l’accompagnement humain en termes de formation, d’espace de travail, d’équipement en ordinateurs et imprimantes. Moi j’ai la chance d’avoir un ordinateur, mais ce n’est pas le cas pour les autres coworkers. Les gens hébergés en foyer sont en difficulté et n’ont ni le matériel, ni l’espace pour travailler. Il
manque encore beaucoup de choses nécessaires pour vraiment aider les gens qui n’ont pas les moyens. Il nous faut aussi des modules de formations simples, par exemple je ne maîtrise pas encore Excel et Word, or j’en ai besoin pour gérer mes factures.

Quel conseil donneriez-vous à une personne qui a envie de monter sa boite et qui n’ose pas car elle est en situation de précarité face au logement ?

Il faut y croire ! Ici il y a vraiment des gens qui ont du cœur avec des compétences, qui veulent nous aider. Il faut savoir prendre la main des personnes qui la tendent pour se mettre sur les bons rails et mener son projet. Vous déménagez ? N’hésitez pas à le contacter !